“Il fallait absolument les nourrir ! Moi j’avais des crevasses aux seins et il fallait quand même le donner. C’était horrible.” C’est Claudine la première à nous parler d’allaitement. Jusqu’alors les femmes nous racontaient leur accouchement et l’après, mais jamais ce moment où les seins d’une femme peuvent et doivent nourrir l’enfant.
Soixante ans après son premier allaitement, Claudine nous parle d’horreur et évoque l’état de ses seins. On perçoit la violence et le mal-être ressentis à l’époque. Elle continue son récit : “Il y avait une dame qui n’avait pas de lait, et il fallait qu’elle nourrisse quand même son gamin. Le gamin il pleurait, il mangeait pas assez, on lui donnait rien d’autre”.
Quelques mois plus tard, nous rencontrons Evelyne. Avec son franc-parler, elle nous confie : “On m'a demandé si je voulais le nourrir, j'ai répondu : “Ça me sert à quoi ? J'ai pas de lait, un biberon c'est mieux, comme ça si je veux partir ma mère lui donnera le biberon”. Allaiter, c’est être obligée de rester car partir ferait mourir l’enfant. Ce n’est pas tant qu’Evelyne voulait tout quitter, mais l’idée de ne plus avoir le choix, c’est ça qui est terrifiant pour elle. Le biberon offre cette possibilité de pouvoir quitter l’enfant, sans pour autant le faire.
Pour Claudine, Evelyne et d’autres, allaiter n’est pas une évidence. Comme la maternité, cela apporte son lot de questions, de douleurs et de peurs.
La petite tasse historique :
Nos mamies ont donné naissance dans une période particulière : plus de nourrices et du biberon au lait pasteurisé en veux-tu en voilà.
L’histoire de l’allaitement est assez cocasse. Comme souvent, chaque époque prône tout et son contraire. Une seule invariable : chacun se permet de dire à la femme ce qu’elle doit faire !
Pendant l’Antiquité, allaiter est important. On suppose que la femme transmet à son enfant son caractère, donc la mère se charge du travail… Il ne faudrait pas qu’une inconnue lui refile ses défauts ! Puis progressivement, les femmes plus riches commencent à donner aux esclaves leurs enfants à nourrir.
Au XIIème siècle, on pense que le lait maternel est impur, car il transmettrait le sang des règles qui ne s'écoulent plus. Les nourrices sont alors largement encouragées jusqu'à la Renaissance… Puis c’est reparti ! Les femmes doivent à nouveau nourrir leurs enfants, coûte que coûte.
Et rebelote… Au XVIIème siècle on estime que les femmes sont trop perverties pour nourrir les enfants. L’industrialisation aidant, c’est le grand retour des nourrices jusqu’à la fin du XIXème. Eh oui, les femmes étant au travail, difficile d’allaiter à l’usine !
Changement de plan, la France vient de perdre contre la Prusse. Encore et toujours, on a besoin d’enfants. Un chiffre réveille les politiques : la mortalité infantile s'élève à 71% contre 15% pour les enfants allaités par leur mère. Allez c’est adjugé, les femmes ne sont plus si mauvaises que ça, elles peuvent et doivent nourrir leurs enfants. Elles n’ont pas de seins pour rien après tout !
On refait des campagnes en faveur du lait maternel, des biberons plus hygiéniques et on met en avant le tire-lait comme solution miracle en oubliant souvent que les corsets ont fait beaucoup de dégâts sur les tétons des femmes… Mais ça c’est une autre histoire !
Dans le même temps, le lait stérilisé fait sa grande apparition. Il se rapproche le plus possible du lait maternel et s’industrialise rapidement.
Nos grands-mères accouchent donc dans un contexte de “scientifisation” de l’allaitement. Les biberons et le lait pasteurisé viennent réguler et encadrer le tout : tel nombre de grammes tant de fois par jour ! Les femmes doivent suivre à la lettre les règles : seins crevassés, pas de lait… peu importe tant que tu restes dans le cadre.
Le biscuit d’actualité :
Nous vous le disions, il y a une invariable dans cette histoire : décider à la place des femmes ce qu’il faut faire en terme d’allaitement. Les Emirats Arabes Unis l'ont bien compris : en 2014 ils obligent les femmes à allaiter les enfants jusqu’à leurs deux ans. Au moins, c’est sûr qu’elles ne pourront ni partir, ni travailler : affaire rondement menée !
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