La contraception est un sujet important pour nous. Nous posons systématiquement la question aux mamies : pour vous c’était comment ?
Vivre sans moyen de contraception fait partie de ces idées impossibles à imaginer. Nous sommes toutes les deux nées à l’heure du préservatif et de la pilule pour toutes. Cependant la pilule contraceptive n’a été légalisée qu’en 1967, donc forcément une grande partie des mamies que nous rencontrons ne l’ont pas ou peu connue. Mais comment faisaient-ils ? Ou plutôt, comment faisaient-elles ?
Aborder ce thème avec elles est toujours expéditif ! Entre “les préservatifs on n’en parlait pas” de Jeanine, qui clôture la discussion, ou le "on faisait attention, c'est tout" de Claudine, nous comprenons vite que pour nos mamies ce n’était pas vraiment un sujet.
Certaines ont pu faire une rencontre qui a changé le cours des choses. “À l'époque on n’avait pas de contraception, puis j’ai rencontré une doctoresse incroyable, elle m'a posé un stérilet” nous raconte Catherine, le sourire dans les yeux.
S’il y a un sujet qui les fait toutes rire (allez-y, testez avec une mamie de votre entourage !) c’est la méthode Ogino. Chacune nous en parle : "On ne suivait pas la méthode Ogino car sinon on tombait enceinte" s’amuse Claudine. Pareil pour Dora qui nous dit : “Ah oui, il y a Ogino… Mais alors ça c’était plus une blague !”.
Cette méthode porte le nom de son inventeur, Kyusaku Ogino ; on l’appelle aujourd’hui la méthode du calendrier. En 1924, M. Ogino s’intéresse au cycle ovulatoire de la femme. Il observe ainsi que la femme n’ovule qu’une fois au cours de son cycle menstruel, entre le douzième et le quatorzième jour. En recoupant cette information avec la longévité de quatre jours d’un spermatozoïde après l’éjaculation, la méthode mise au point est alors simple : abstinence entre le huitième et le dix-huitième jours, appelée période féconde. Sur le papier, la méthode est incroyable ! Elle permet tout d’abord la réappropriation du corps par les femmes, qui se connaissent mieux et se comprennent davantage. Cette méthode ne coûte rien et peut se diffuser facilement. Elle est également très rationnelle et d’une logique imparable. Enfin, elle est promue par les membres de l’Eglise Catholique Romaine comme la seule méthode de régulation des naissances moralement acceptable.
Si son efficacité théorique est bonne, l'efficacité en pratique est plus controversée, elle oscille entre 75 et 78% de réussite. Les femmes sont toutes différentes ; leurs cycles menstruels sont variés et parfois non réguliers. Il peut être difficile de compter ses jours post-menstruation et l’erreur est rapide. Il faut aussi pouvoir s’abstenir pendant dix jours, là encore la pratique peut être plus complexe que la théorie.
“Il y avait la méthode du retrait, forcément”, finit par lâcher Claudine. Voilà finalement ce qu’il faut comprendre par “on faisait attention”. Le concept est très simple : l’homme se retire du vagin de sa partenaire avant l’éjaculation. Cependant, comme nous ont dit chacune des femmes avec qui nous avons échangé : “Ça marche jusqu’à ce que l’on tombe enceinte...”. Cette méthode rencontre environ 22% d’échec, car il n’est pas si évident de contrôler parfaitement l’éjaculation. D’autant plus que le liquide pré-séminal contient des spermatozoïdes… Donc même sans éjaculation il est possible de tomber enceinte.
Ok donc la méthode Ogino ne fonctionne pas vraiment, le retrait c’est risqué, la pilule n’est pas encore légalisée et le préservatif on n’en parle pas… Pas étonnant que le sujet soit vite balayé avec les mamies compte tenu de la pauvreté, plutôt de la quasi-inexistence, de choix !
Ce peu de matière que nous avons recueilli en discutant avec les mamies nous titille. Pourquoi ne parlent-elles pas de contraception ? Tout se passe comme si personne ne leur en parlait et que ce n’était jamais un sujet. Avoir des enfants est le propre de la femme. Éviter d’en avoir… Pourquoi s’y pencher ?
Si, pour la majorité de nos mamies, il n’y avait aucun moyen de contraception, pour certaines il y a eu un vrai avant et un après. Qu’il s’agisse du stérilet de Catherine ou de la pilule pour Colette, c’est de la joie qui illumine leur visage lorsqu’elles l’évoquent : une vraie libération ! Pouvoir faire l’amour sans craindre la grossesse, pouvoir contrôler son corps et en jouir librement… Cela mérite bien un sourire !
La petite tasse historique :
Le contrôle des naissances est une préoccupation humaine depuis fort longtemps. On retrouve des traces en Asie en 4000 avant J.-C. (oui, vraiment longtemps !) du fameux retrait avant éjaculation. Technique qui sera aussi appelée la “continence masculine” au fil des siècles : c’est un peu la première contraception masculine, version 0.0 !
On retrouve chez les Égyptiens, vers 3000 avant J-C, des formules de spermicides à base de plantes et d’excréments de crocodiles à introduire dans le vagin. En 1600 avant notre ère, les Mésopotamiens employaient une méthode similaire : les femmes introduisaient des pierres rondes dans leur vagin le plus loin possible pour éviter une grossesse… Tout confort on imagine !
Bref, la contraception a une histoire et cela a toujours été une préoccupation humaine. Il faudra néanmoins attendre le XXème siècle pour qu’apparaissent le stérilet, le patch ou la pilule.
Le préservatif, lui, a toujours été plus ou moins là !
Quoi ? Vraiment ? Pourquoi alors Mado, Jeanine, Claudine, Roselyne, et toutes les autres ne nous ont rien dit ? Pour comprendre, nous vous invitons à voyager dans l’histoire du préservatif !
Quand on vous dit que ça ne date pas d’hier, c’est très sérieux ! Une statuette égyptienne de plus de 6 000 ans représente un homme avec un étui contraceptif.
Jusqu’à l’utilisation du caoutchouc, le préservatif est construit à partir de vessie ou d’intestins d’animaux, ce qui n’est ni confortable ni très efficace. La Marquise de Sévigné écrivait d’ailleurs à sa fille : “c’est une cuirasse contre le plaisir, une toile d’araignée contre le danger”.
A partir du XVIème siècle des anatomistes et chirurgiens du monde innovent et créent des préservatifs de plus en plus techniques pour lutter contre la syphilis, notamment. Le préservatif permet surtout de protéger les humains contre les différentes maladies sexuellement transmissibles, bien au-delà d’éviter la fécondation.
Chaque époque lui donne son petit nom : il se nomme “gant de Vénus” pour Shakespeare, “condom” à partir du XVIIème siècle ou “redingote anglaise” chez Casanova. Jusqu’au XIXème siècle, il est toujours constitué de boyaux d’animaux.
Casanova et la redingote anglaise, 1872
L’utilisation du préservatif sort alors des “mauvais lieux” du libertinage et de l’adultère pour arriver dans le lit conjugal et proposer ainsi une alternative au retrait… On l’utilise comme moyen de contraception !
S’il se démocratise au fil des siècles, il faut tout de même attendre la Révolution française pour que l'utilisation et la vente de préservatif soient légalisées en France. Et c’est en 1839 que Goodyear, après l’invention de la vulcanisation permettant de transformer le caoutchouc en latex, met au point le premier préservatif lavable, réutilisable et… garanti cinq ans ! (Ils étaient sacrément éco-responsables à l’époque). En 1880, ce dernier commence la production en masse et la démocratisation du préservatif, puis il se trouve de nouveau interdit en France… Il faut des enfants pour la nation, voyons !
En janvier 1920, le décret tombe : l’utilisation du préservatif, comme tout contraceptif, est passible de prison. La France est à sec à la sortie de la guerre : “faites l’amour - sans capote - pas la guerre” ! La contraception ne sera à nouveau autorisée qu’en 1967, par la loi Neuwirth.
C’est seulement dans les années 1980, suite à l’épidémie du sida, que l’utilisation du préservatif réapparaît. Sa publicité est autorisée en 1987, au même titre qu’un médicament.
Voici racontée la grande histoire du préservatif à travers les siècles. Alors, si les mamies ne nous en ont pas parlé c’est simplement qu’elles n’y avaient pas accès, elles en savaient trop peu et personne ne pouvait en parler franchement. Entre 1920 et 1980, la France fait un retour en arrière sur ce sujet. C’est aussi un bon rappel : non l’Histoire n’avance pas toujours dans le sens du “mieux”, parfois elle régresse.
Et la pilule dans tout ça ?
La pilule, c’est d’abord une histoire de femme. L’idée est lancée au début du XXème siècle par Margaret Sanger, infirmière dans les quartiers pauvres de New York. Elle invite Grégory Pincus à mettre au point la contraception orale et fait financer leurs recherches par son amie, Katharine McCormick.
En Europe, l’Angleterre est la première à expérimenter la pilule alors que la France refuse sa légalisation. En 1961 se crée, dans la clandestinité, le premier centre de planification familiale à Grenoble. Les soignants et bénévoles commencent à prescrire cette pilule importée d’Angleterre. Pour éviter la prison, ils mettent en avant les vertus de la régulation hormonale pour ne pas parler de son atout premier : empêcher l’ovulation.
En 1944, Lucien Neuwirth flirte avec une jeune Irlandaise qui lui tend la petite pastille avant le rapport : c’est le tout premier spermicide effervescent. Eh oui… en Angleterre préservatifs et spermicides sont en vente libre ! Par la suite, Neuwirth devient député et reste sensible aux questions de maternité, d’avortement et de contraception.
Il faut attendre 1967, plus de dix ans après la commercialisation de la pilule, pour que la loi Neuwirth vienne rendre la contraception légale en France. Et 1967 c’est un peu tard pour nos mamies. Certaines ont eu la chance d’en profiter, comme Colette qui nous confie : “Mon Dieu quel bonheur… on avait la pilule et pas de Sida. C’était la décennie de la liberté”.
La cuillère à café de chiffres :
Entre 1967 et 1990 la proportion de femmes entre 15 et 49 ans prenant la pilule passe de 4 à 30%.
Comments