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Faire de la politique, parler pour être entendue

Nous n’allons pas vous mentir, il est difficile de rencontrer des femmes qui ont fait de la politique. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous continuons d’en chercher et nous espérons pouvoir enrichir cet article au plus vite !


C’est Jeanine la première à nous faire part de son expérience d’élue municipale à Blois en 1973. Elle a été approchée en raison de son profil un peu particulier. "Ils me voulaient dans la liste car j'étais mère de famille. Il leur fallait quelqu’un qui comprenne les problèmes des mères de famille, tu parles… J’en ai vu des vertes et des pas mûres là. Aïe aïe aïe.". Elle rit. Impossible de savoir ce que ce rire signifie, mais nous rions avec elle !


En 1973, à Blois, le conseil municipal compte deux femmes parmi les vingt-trois conseillers. C’est “beaucoup” pour la moyenne nationale, qui tourne plutôt autour de 4% de conseillères municipales.



Jeanine tenant l’urne lors des élections législatives de 1973. Marianne veille.



















Puis, Jeanine nous raconte le stress et l’angoisse que génère sa position d’élue : “La veille des réunions municipales, j’avais la diarrhée. Excusez-moi de parler de ça mais alors je me vidais tellement j’avais le coeur qui battait. La preuve c’est que quand j’ai su que j’étais élue, j’ai fondu en larmes. Jean était avec moi et il m’a demandé “Pourquoi tu pleures ?”. Je lui ai répondu “Parce que je suis élue !”.

Quand on lui demande pourquoi être élue la mettait dans cet état-là, elle répond : “Fallait prendre la parole devant tout le monde, c’était des réunions publiques… C’est pas mon meilleur souvenir”.


Ah ! La voilà la fameuse peur de prendre la parole, de parler et de se faire entendre. Même pour une Jeanine qui n’a pas froid aux yeux, c’est une épreuve difficile. C’est intéressant qu’elle nous parle de cette expérience et que le premier frein soit : “il va falloir parler en public”. Nous nous demandons combien de femmes se sont empêchées de s’engager en politique par peur de parler. La prise de parole en public est encore aujourd’hui l’un des freins d’auto-censure qui limite les femmes dans leurs ambitions. Après tout, prendre la parole c’est être écoutées et considérer que nos idées valent d’être entendues. Quand nos grands-mères sont éduquées à devenir des épouses puis des mères, donc des oreilles attentives avant tout, elles intériorisent un manque de confiance en elles et une absence de légitimité à prendre la parole (eh oui, l’oreille ne parle pas !).


Vraiment, mais ça vient d’où cette auto-censure ?

Dès les écrits antiques de l'Iliade et de l’Odyssée, Homère affirme explicitement que “la parole est une affaire d’hommes” mettant alors en scène des hommes coupant la parole à des femmes obéissantes. Timothée, dans le Nouveau Testament, écrit : “ la femme écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission”. Si cette image a évolué avec les mouvements de libération de la femme dans les années 1970, l’image de la femme à l’écoute, douce et silencieuse était très présente dans l’éducation de nos grands-mères.


Les études qui parlent (elles !)

C’est seulement récemment que les études sont venues éclairer ce manque d’assurance dans la prise de parole et mettre des chiffres sur ces intuitions. Victoria Brescoll, par exemple, montre dans ses travaux une perception différente selon la longueur des prises de parole entre les hommes et les femmes : lorsqu’un homme parle longtemps, il est jugé par ses pairs comme plus compétent. A contrario, une femme qui parle plus est considérée moins apte. Qui eût cru que les mots d’Homère puissent être aussi modernes : la parole, c’est toujours une affaire d’hommes !


D’autres études viennent montrer la propension des hommes à couper la parole aux femmes lorsqu’elles la prennent, accentuant le manque de légitimité et l’auto-censure. Enfin, les nombreuses études des années 2010 montrent la pauvreté du temps de parole publique féminin, avec seulement 18% d’expertes invitées à la télévision et 15% dans la presse écrite. On peut imaginer qu’au temps de Jeanine c’était encore pire.


Il ne faut pas avoir inventé la mayonnaise pour comprendre que dans ces conditions, les femmes intériorisent depuis petites que leur parole est moins pertinente, moins légitime et peut être moins politique.


La petite tasse historique :

C’est en 1936, sous le Front Populaire, que les premières femmes entrent au gouvernement. Elles sont trois : Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore, chacune sous-secrétaires d’Etat. Il faudra cependant attendre douze ans pour que les femmes deviennent éligibles, c’est à dire qu’elles soient élues par le peuple et non désignées par un gouvernement.




La Française,

numéro du 13 juin 1936.













En France, « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » depuis une ordonnance de 1944. Le préambule de la Constitution de 1946 proclame quant à lui que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».


Jusqu’aux années 2000 la progression de la parité en politique est lente. La loi de 2000 rendant obligatoire la parité pour les scrutins de liste permet aux femmes de devenir presque aussi nombreuses que les hommes au Parlement européen, dans les conseils régionaux et dans les conseils municipaux de communes de plus de 3 500 habitants.


La cuillère à café de chiffres :

En 1971, la France compte 1,8% de femmes maires et 4,4% de conseillères municipales. En 1989, les chiffres augmentent à 5,5% de femmes maires pour 17,2% de conseillères. Enfin, en 2014, il y avait 16% de femmes maires et 40% de conseillères, donnée qui s’explique en partie grâce à la loi de 2000 pour la parité des scrutins.


L’Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945 comptait 5,6 % de députées. L’Assemblée nationale comportait 6,1 % de députées après les élections législatives de 1993 et 10,9 % en 1997. Merci M. Jospin pour avoir imposé au Parti Socialiste de réserver 30 % des circonscriptions à des candidates, ce qui explique cette importante progression ! Depuis la promulgation de la loi sur la parité du 6 juin 2000, la part des femmes élues à l’Assemblée nationale est passée de 12,3 % en 2002 à 38 % en 2017.


Le biscuit d’actualité :

On aimerait vraiment vous dire, comme Jeanine, que “c’était une autre époque” mais la réalité est plus nuancée ! Les femmes ont toujours du mal à prendre la parole en public et le monde politique reste majoritairement masculin. Bien sûr, la parité politique ne cesse de croître et nous sommes confiantes. Le principal est de ne pas baisser la garde !


Une enquête réalisée auprès des étudiants de Sciences Po révèle que les filles se disent à la fois moins intéressées par la politique que les garçons et moins sûres de leurs connaissances du sujet. « Peut-être faut-il voir dans ce moindre intérêt une réticence à accepter la structuration actuelle du champ politique, organisé par des hommes et soumis à des règles qui ne leur paraissent pas toujours justifiées, pas toujours adéquates pour traiter des problèmes qu’elles estiment prioritaires ».


Alors oui, la Française exerce pleinement, et depuis soixante-quinze ans, son droit de vote. Cependant, l’éligibilité réelle reste encore, pour de nombreuses femmes, hors de portée.


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