"On voyait les soldats défiler dans la rue, ma mère nous a dit "Ça y est, la guerre est finie" comme si d'un seul coup tout allait être transformé. Mais c'était faux, il a fallu beaucoup de temps pour que tout redevienne comme avant.”
Jacqueline, comme les autres, nous parle de la Libération comme d’un jour dont elle se souvient. Françoise nous décrit la musique dans les rues de Paris, Catherine les gens qui défilent. Même enfant à cette époque, elles associent la Libération à la musique, au peuple dans la rue et aux retrouvailles. Une d’entre elles nous dira même “toutes mes copines étaient heureuses de retrouver leur papa, le mien n’est jamais venu. C’était un jour horrible pour moi”. Forcément, qui dit Libération dit retour des soldats.
Moment de liesse, la Libération est aussi un jour particulier pour les femmes, un jour qui marque Jeanine à tout jamais.
“Le jour de la Libération, oui je m’en souviens… Très bien même, j’avais neuf ans. Il s’est passé une chose terrible : toutes les femmes qui avaient eu des fiancés, des copains allemands, on les avait tondues et après elles étaient emmenées dans les rues de Mortagne sous les cris et les huées… Ces pauvres femmes. Ça, pour moi, c’était terrible. Je regardais ces femmes, j’étais pas haute, mais assez grande pour comprendre et ça a été terrible, terrible… C’est drôle, ça m’est resté comme quelque chose d’affreux”.
Ce témoignage brut, il faut y ajouter la gravité dans la voix de Jeanine et les yeux encore remplis de colère quand elle repense à cette scène. C’est terrible, voilà le mot qui revient comme un refrain. C’était il y a soixante-quinze ans et Jeanine peut encore nous décrire la scène comme si nous y étions. Voir cela à neuf ans, après cinq ans de guerre et des années d’Occupation, ça doit être traumatisant.
Lors de nos discussions avec les mamies, on entend parfois des souvenirs d’enfance sur la voisine, la cousine ou sur une femme du village qui fréquentait les Allemands. Ce sont des souvenirs vagues et naïfs de l’enfance. Jeanine est la seule à nous parler des tontes à la Libération et de cette violence faite aux femmes. Tondre un femme, c’est s’approprier son corps, enlever une partie de qui elle est et lui ôter sa féminité. C’est aussi laisser une trace physique de l’humiliation. Des études montrent que les séquelles sur les femmes tondues sont parfois pires que le viol.
Quand Dora nous raconte son arrivée à Auschwitz, elle commence par la tonte et les premières larmes qui coulent en se regardant dans le miroir : “Ils avaient pris la Dora que je connaissais, j’étais moche”.
La petite tasse historique :
Les tontes commencent dès 1941 dans la clandestinité en petit nombre et se diffusent largement à la Libération jusqu’à la fin de la guerre. La dernière daterait de 1946. Elles ont lieu en France, en Italie, en Norvège, en Belgique, au Pays-Bas et au Danemark, toujours avec des mises en scène identiques.
Les femmes tondues sont accusées d’avoir fraternisé avec l’ennemi. Se côtoient alors les vraies collaboratrices, les femmes amoureuses d’Allemands, les femmes de ménages, les prostituées, les lingères… et toutes les femmes sans ressource, avec un mari à la guerre et une famille à nourrir.
Les tontes sont souvent spontanées et populaires. On vient chercher les femmes chez elles, sans prévenir, on les tond en public, de préférence sur la place de la mairie. Ensuite un cortège défile dans la rue, “le carnaval des moches” comme certains l’appelaient. Pendant ce défilé, elles peuvent être plus ou moins dénudées, elles ont parfois des croix gammées sur le visage, inscrites au rouge à lèvre ou au goudron. Vous vous souvenez du Bal des Fous de Quasimodo, quand il se fait couvrir de tomates par la foule en délire ? Eh bien cela peut y ressembler : la foule, comme le décrit Jeanine, hue et crie, elle insulte ces femmes. La foule se défoule.
Ces tontes sont relayées dans la presse et sont répliquées aux quatre coins de la France (dans plus de 77 départements sur les 90 existants), toujours avec la même violence. Bien entendu, rien de tout cela n’est légal et aucune enquête n’est effectuée sur la véracité des faits, les rumeurs prennent le dessus et toute suspicion se transforme en besoin de vengeance, ce sera la tonte !
Femme tondue à Montélimar,
29 août 1944.
Une cuillère à café de chiffres :
Il est très difficile d’évaluer le nombre de femmes tondues. Selon Dominique François, elles seraient 20 000 au minimum mais pourraient être jusqu’à 200 000 d’après Fabrice Virgil. Les historiens et historiennes peuvent tout de même prendre appui sur le nombre d’enfants nés de relation entre Françaises et soldats allemands, soit plus de 80 000 enfants. Cependant, il faut le rappeler : les tondues n’étaient pas seulement les concubines des Allemands, beaucoup d’autres femmes ont aussi été concernées.
Le biscuit d’actualité :
Difficile de finir sur une note positive… Malheureusement, la tonte des femmes n’a pas cessé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Au XXIème siècle cette terrible pratique est encore d’usage. En 2004, elle est utilisée comme châtiment par les hindouistes fondamentalistes contre les Indiennes converties au christianisme.
Pour aller plus loin :
Ce moment émouvant où Jean Rochefort évoque les femmes tondues dans l’émission “Vivement dimanche” :
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